mercredi 21 mars 2007

Soirée. 3/3

Acte trois, la boîte.
Je n’ai pas insisté, je lui ai juste suggéré qu’on pourrait aller danser ce soir.Il faut qu’il sache ce qui me plaît vraiment. En l’occurrence, la danse, j’ai ça dans la peau. Et puis, autant profiter de sa notoriété dans la « haute » parisienne.Mais ce n’était pas obligatoire. Il nous a inscrits sur une liste d’invités d’un club les plus célèbres de la capitale, très guindé. Toutes les filles sont superbes. Je suis intimidée. Ne t’inquiète pas, tu danses comme une déesse, tu vas toutes les éclipser, ses pétasses snobs. Je me rassure comme je peux. Ses amis sont au fond, autour d’une table, couverte de bouteilles de champagne. Il me présente rapidement à ses amis. Bonsoir. Ca va ? Je m’assieds, droite, digne. J’essaie d’engager une discussion avec mon voisin de gauche, mais la musique ne facilite pas les échanges. Alors j’attends, je regarde mon prince charmant discuter et rire avec ses amis. Ah, un air familier. Même, une chanson que j’adore. Je me lève très brusquement, sans me soucier du sursaut de surprise de mon voisin, qui renverse un peu du contenu de son verre sur sa chemise. Je trottine vers la piste, en faisant signe à ce garçon sexy qui est mon petit ami, lui demandant de me rejoindre. Il me voit, sourit mais décline l’invitation. Tant pis. Je me fraye un chemin vers le milieu, pour m’isoler un peu. Et je commence à me déhancher. Doucement, histoire de prendre le rythme, puis j’accélère. Je mise à peu près tout sur mes fesses. Je sais qu’elles plaisent. Mes seins, ça va. Rien à signaler. Normaux. Mais mes fesses… Et mon ventre plat, chose que toutes les filles n’ont pas, accentue la courbe du bas de mon dos.
Les réactions ne se font pas attendre. Un petit cercle de garçon s’est déjà dessiné. Mais je m’en moque, je ne suis pas là pour draguer. Juste pour danser, pour moi. Un audacieux se place juste derrière moi et se déhanche au même rythme que moi, tout près, au point que nos corps se touchent. Je ne veux pas d’ennui, alors je me retourne et lui fais un petit signe (pas touche) et un joli sourire. Très mignon, note mon esprit. N’y pense pas. Il a compris, me fait lui aussi un petit sourire désolé. Très mignon. Les chansons se suivent. Je reste. Rien ne m’arrête. Je secoue mes cheveux, longs. Je sais bien que les garçons trouvent ça excitant. Sexy. Je sais aussi que j’ai envie d’être sexy, d’être désirable. Rien ne peut m’en empêcher ce soir. Je veux le rendre fier, que ses amis en bavent d’envie. Je le cherche des yeux. J’ai réussi. Je peux lire l’admiration sur son visage et sur celui de ses amis. Je vois aussi l’air hautain que les filles ont adopté. Les hypocrites ! Oui, je suis sexy. Oui, j’allume les hommes. Mais tout est sans conséquence. J’énonce moi-même les règles, et les hommes les respectent. Du moins, ici. Mais c’est un code que je n’applique qu’ici. Je ne suis pas bête. Je retourne un peu sur le bord de la piste et insiste pour qu’il me rejoigne. Juste une danse. Une parade amoureuse. Pour nous mettre en appétit. Il refuse toujours. Tant pis pour lui. Mon « partenaire » mignon revient à la charge. Je ne le repousse plus aussi explicitement. Nous dansons ensemble, nous amusons. Il a un style de danse amusant mais sexy quand même. Classe. Décalé. Naturel. Il devient très entreprenant, et ça me fait rire.
Soudain, à ma gauche, comme pour me défendre de l’horrible dragon (ou de la tentation), mon cavalier attitré requiert mon attention. Que je danse avec lui ? Mais bien sûr ! Je n’attends que ça. Il me touche le bras, fais passer sa main dans mon dos, effleure mes fesses. Je me sens électrisée.Il me regarde dans les yeux, m’embrasse, puis s’écarte un peu pour avoir un peu de liberté dans ses mouvements. Il remet ses bras le long de son corps. Esquisse quelques pas. Mais… Que fait-il ? Pourquoi balance-t-il les bras comme ça ? Il n’entend pas la musique ou il fait exprès de danser n’importe comment ? C’est une blague c’est ça ? Quel humour il a. Bon, maintenant, tu peux arrêter, tu as assez fait le clown. Dansons un peu sérieusement. Non ? Il de dandine, ses yeux dans les miens, regard ténébreux. Mais ça ne colle pas avec son corps qui se trémousse sans cohérence ; sans sex-appeal. Il me sourit. Je détourne le regard et observe autour de moi ; l’autre garçon est toujours à côté et il me lance un regard moqueur. Moqueur ? A moi, la reine du dancefloor ? Je ne veux pas avoir l’air ridicule, encore moins ici, sur cette piste, qui est mon royaume. Je réfléchis à une échappatoire. Je prends un air fatigué et commence à sautiller, comme si mes pieds me faisaient mal. Il remarque. Je lui fais signe que je retourne m’asseoir. Il me suit. Me rattrape et me prend par la main, puis m’embrasse. Je le laisse faire puis le repousse et vais m’installer sur la banquette, comme si j’étais exténuée. Il hésite avant d’aller rejoindre ses amis, qui nous ont suivi des yeux.
J’attends quelques minutes, le temps qu’il se replonge dans une discussion avec eux, puis file à nouveau sur la piste, discrètement cette fois ci. L’autre garçon a l’air de m’attendre. Je me remets à danser, en fermant les yeux, évitant tout contact. Je me repasse ces cinq minutes de cauchemar. Comment peut-on danser aussi mal ? Quand on n’est pas Patrick Swayze, soit on s’abstient en toute honnêteté, soit on prend un peu de recul, et on danse d’une façon un peu marrante. Mais croire, avec autant de sérieux, qu’on danse bien quand c’est une catastrophe… Je ne pense plus qu’à sa maladresse et son ridicule. Berk. Mais non voyons, il est charmant. Bien habillé, cultivé, intéressant, beau. Ne fais pas de fixation là-dessus. Passe outre. Lui au restaurant. Lui en train de danser. Non, lui dans ses belles fringues. Lui et son large torse. Lui en train de danser. Lui m’embrassant. Lui en train de danser. Lui m’enlaçant. Lui en train de danser. Lui en train de danser Lui me faisant l’amour ? Ridicule. Comme il danse. Le garçon mignon s’est encore collé à moi. Je sens son haleine dans mon cou. Je fais brusquement volte-face, mon visage se retrouve au niveau de son cou, très près. Je le hume un instant. Il passe sa main dans mes cheveux. J’arrête son geste, lui sourit, l’air contrit. Je jette un rapide coup d’œil à notre table. Il y discute, il est occupé. Je fais un petit geste de la main à mon gentil partenaire. A la prochaine. Et je quitte la piste, en direction de la sortie. Je récupère mes affaires au vestiaire.
Je respire l’air frais de la nuit. Je lève un moment les yeux vers le ciel. Rien. Je soupire et commence à marcher. Une main attrape la mienne. Je me retourne. La surprise se dessine sans doute très visiblement sur mon visage puisqu’il rit un peu. Qu’est-ce qu’il est mignon ! Nous continuons de marcher, main dans la main. Tant pis pour le premier. Merci pour le resto, mais tu n’as pas passé l’examen avec succès. Essaie à nouveau l’année prochaine. Ou non, n’essaie rien du tout, tu es une cause perdue. L’inconnu de la piste, mon gentil danseur, serre ma main dans la sienne, s’arrête un instant, le temps de m’embrasser, doucement.
Un frisson bien connu. Nous reprenons la marche, sans but précis (ou plutôt sans oser énoncer un but). Rien ne presse.
Nous avons toute la nuit.
Nous avons tout le temps.